Par Amélie Vézina, gagnante de l'édition 2021 du concours de vulgarisation scientifique
En tant qu’étudiant universitaire, les expressions telles que « ne soyez pas si dur avec vous-même ! » ou « soyez gentil avec vous-même et tout va bien aller ! », nous semblent un peu contre-intuitives. De plus en plus, l’anxiété de performance et la compétition entre les pairs sont ressenties sur les campus, et parfois de manière envahissante. L’autocritique (cette petite voix intérieure qui nous rappelle toutes les conséquences qui se produiraient si nous échouons un quiz, par exemple) nous est alors très familière, et c’est souvent elle qui nous pousse à étudier toute la nuit, même quand notre corps nous supplie pour du repos.
Devant nos difficultés, il peut nous arriver de sombrer dans la critique et la rumination (c.-à-d., penser de manière répétitive à un événement qui nous a affecté, comme une dispute avec un ami par exemple). Certains étudiants se sentent envahis par des pensées négatives répétées et utilisent des stratégies néfastes comme la rumination et la catastrophisation. En fait, nous avons parfois tendance à amplifier les choses hors de proportion, en imaginant des scénarios de cauchemar que nous croyons sans aucun doute, par exemple, « c’est certain que j’étais nul durant ma présentation orale ». En bref, ce sont des manières de se « taper dessus », soutenues par notre petite voix autocritique. Bien que ces stratégies soient souvent déclenchées de manière automatique et inconsciente, une étude récente (Amaral et al., 2018) souligne que les étudiants trouvent parfois une certaine valeur dans la pensée ruminative, croyant que cette stratégie les aidera à corriger les erreurs du passé et à anticiper les problèmes futurs. Cependant, ces stratégies ne font que maintenir un niveau de stress élevé, pouvant se manifester par des difficultés de sommeil et des états anxieux et dépressifs.
Plusieurs barrières peuvent compliquer la recherche de pistes de solutions pour améliorer la santé psychologique des étudiants. Par exemple, certains croient qu’être constamment stressé ou dur envers eux-mêmes est normal, ne sachant tout simplement pas comment faire autrement. L’entraînement à l’autocompassion pourrait alors être une avenue intéressante pour les étudiants; elle peut être initiée lors d’une consultation en psychothérapie, ou même lors d’ateliers en format de groupe. De plus, certains exercices sont accessibles gratuitement en ligne et peuvent être pratiqués de manière autonome, lorsque la personne le désire.
Alors, c’est quoi exactement l’autocompassion ?
Selon Kristin Neff (Ph. D.), l'autocompassion implique de vous répondre de la même manière que vous le feriez avec un bon ami lorsque celui-ci traverse une période difficile, lorsqu’il échoue ou remarque quelque chose qu’il n'aime pas chez lui-même. La pratique de l’autocompassion vous enseigne à adopter une attitude gentille et compréhensive envers vous-même, plutôt que de vous juger et de vous critiquer pour vos défauts ou échecs personnels. Toujours selon Kristin Neff, les trois composantes-clés de l’autocompassion sont : 1) la bienveillance envers soi-même par opposition à l’autocritique; 2) la reconnaissance de son humanité par opposition à l’isolement; et 3) la pleine conscience (c.-à-d., observer et accueillir nos pensées et émotions comme ils viennent, sans les juger) par opposition à la suridentification (c.-à-d., « s’identifier » à ou se sentir envahis par nos pensées et émotions négatives).
Il existe plusieurs moyens pour développer de l’autocompassion. Celle-ci peut se faire entre autres à travers des pratiques méditatives, mais également d’exercices pouvant être appliqués dans la vie quotidienne. Par exemple, la « pause autocompassion » est un exercice méditatif guidé par une narration audio de 5 minutes qui peut apaiser la personne lors de moments difficiles, en offrant un survol des trois composantes de l’autocompassion. Il existe aussi des exercices qui n’incluent pas de méditation, par exemple, l’écriture d’une « lettre d’autocompassion » (Voir les liens de méditations guidées et d’exercices suggérés au bas de la page).
Un exemple
Une étudiante de premier cycle ne réussit pas aussi bien qu’elle l’espérait à un examen de mi-session. Au lieu de se battre contre elle-même en se critiquant qu’elle n’est pas assez intelligente ou studieuse, elle prend un moment pour respirer et se rappeler que tout le monde a des moments décevants de temps en temps (la reconnaissance de son humanité). Elle prend le temps de reconnaître ses sentiments négatifs, mais essaie tout de même de ne pas les laisser la consommer (pleine conscience). Elle réfléchit à la façon dont elle parlerait à ses ami(e)s si cela leur arrivait – à quel point elle serait réconfortante et encourageante – et essaie de se traiter de la même manière (bienveillance envers soi-même). Cet exercice peut l’apaiser, lui offrir du courage et de la compassion pour elle-même, et l'aider à se sentir davantage en mesure d'approcher le professeur et de lui demander des conseils d'étude pour le prochain examen.
Et que dit la recherche ?
Bien que l’état des connaissances à ce sujet soit embryonnaire, on retrouve de plus en plus d’études qui s’intéressent au concept d’autocompassion et en ressortent plusieurs effets bénéfiques. Au niveau de la population générale, la recherche souligne que l’autocompassion peut être associée au bien-être émotionnel, à la diminution du stress, des états anxieux et dépressifs.
Plus précisément chez les étudiants universitaires, la recherche soutient l’interconnexion de l’autocompassion et de la motivation. Les études démontrent que les étudiants qui pratiquent l'autocompassion continuent de se fixer des normes élevées pour eux-mêmes; cependant, ils sont plus susceptibles de réviser ou de fixer de nouveaux objectifs s’ils n'atteignent pas les objectifs préétablis. Ils sont également plus intrinsèquement motivés (c.-à-d., ils entretiennent surtout une forme de motivation associée à la réalisation de soi et l’accomplissement personnel, par opposition à une motivation extrinsèque, qui est associée à un désir de récompenses et reconnaissances externes). De plus, ces étudiants assument la responsabilité de leurs erreurs passées tout en les reconnaissant avec plus d'équanimité émotionnelle (c.-à-d., l’atteinte d’un calme intérieur quels que soit les événements agréables ou désagréables qui se présentent dans notre vie). On pourrait dire que la motivation de l'autocompassion découle de l'amour de soi, tandis que la motivation de l'autocritique découle de l’anxiété (p. ex., une peur excessive de ne pas bien performer). L’autocompassion pourrait alors être un facteur de motivation plus efficace que l’autocritique puisqu’elle mène à des objectifs d’apprentissage étant ultimement liés aux valeurs de la personne, et non à des objectifs de performance.
« L’autocompassion c’est pour les faibles, les paresseux, les égoïstes » …
Au début, il est tout à fait normal d’être sceptique envers l’idée que de remplacer l’autocritique pour l’autocompassion soit bénéfique pour nous. Certains d’entre nous sont profondément attachés à notre voix autocritique, et à un certain niveau, nous pensons probablement que de « se faire souffrir » peut nous être utile (un peu comme la controverse de l’apprentissage par punition). Même pour de nombreuses personnes qui apprécient la compassion pour les autres, l'idée de compassion pour soi peut ne pas faire de sens immédiatement. Kristin Neff explique que les gens confondent souvent l'autocompassion avec l’apitoiement ou l'indulgence envers soi-même, craignant que s'ils sont « trop gentils » envers eux-mêmes, ils ne s'amélioreront pas ou ne réussiront jamais. Au contraire, l'autocompassion est un moyen de nous nourrir, de nous soutenir et de nous protéger afin que nous puissions continuer d’être la meilleure version de nous-même.
Alors, pourquoi est-ce si difficile à appliquer pour plusieurs d'entre nous ? Eh bien, plus souvent qu’autrement, nous refusons d'accepter que nous sommes imparfaits. Comme personne imparfaite, nous allons faire des erreurs, regretter certains agissements, ne pas atteindre tous nos objectifs, échouer et décevoir des gens que nous aimons. Dit comme cela, ça fait extrêmement peur ! Surtout en considérant les exigences des études universitaires, et le climat compétitif qui y est associé. Mais, c'est la condition humaine et, selon Kristin Neff, l'étape la plus importante pour adopter l'autocompassion est de reconnaître et d'accepter d’être un humain imparfait.
Psychothérapie, autocompassion, ou les deux ?
L’entrainement à l’autocompassion ne remplace pas la psychothérapie. Il est important de consulter un professionnel en santé mentale quand on vit beaucoup de détresse psychologique. Bien que certaines études démontrent que l’autocompassion peut être apprise de manière autonome (p. ex., à travers des méditations autocompatissantes guidées par audio disponibles en ligne), l’autocompassion devrait être pratiquée avec d’autres stratégies pour aider les étudiants qui manifestent des difficultés anxio-dépressives importantes. Ceci étant dit, les thérapies cognitivo-comportementales de 3e vague (c.-à-d., les thérapies basées sur l’acceptation et la pleine conscience) pourraient être une option pertinente pour le traitement psychologique des étudiants, notamment puisque celles-ci combinent des interventions cognitives, émotionnelles, et certains aspects de l’entraînement à l’autocompassion.
Pour aller plus loin
Références
Amaral, A. P., Soares, M. J., Pinto, A. M., Pereira, A. T., Madeira, N., Bos, S. C., Marques, M., Roque, C., & Macedo, A. (2018). Sleep difficulties in college students: The role of stress, affect and cognitive processes. Psychiatry Research, 260, 331–337.
Germer, C. & Neff, K. (2014). Self-compassion in clinical practice. Journal of Clinical Psychology: In Session, 69(8), 856–867.
Gunnell, K. E., Mosewich, A. D., McEwen, C. E., Eklund, R. C., & Crocker, P. R. E. (2017). Don’t be so hard on yourself! Changes in self-compassion during the first year of university are associated with changes in well-being. Personality and Individual Differences, 107, 43–48.
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